Texte 6 : Jean-Paul Sartre, Les Mouches (1943), acte II, 2e tableau, scène 8 (extrait)
La liberté d'Oreste.

Présentation de la pièce :

Nous sommes à Argos (Nord-Est du Péloponèse), ville mythique, durant l'Antiquité. Cette ville est située dans le pays des Atrides, famille qui se rattache à la guerre de Troie.
Les personnages : Agamemnon a une femme qui s'appelle Clytemnestre, ils ont deux enfants : Oreste et Electre et avait une autre fille auparavant, qui est morte : Ephygénie. Au moment où les Grecs doivent partir en bateau pour conquérir Troie, il y a un calme plat, pas de vent et un devin leur annonce que c'est une vengeance des Dieux : Agamemnon a tué une biche, c'est pourquoi il doit sacrifier sa fille Epygénie. Clytemnestre en reçoit une blessure épouvantable, elle est fâchée avec son mari. Agamemenon, qui est ivre de pouvoir, tue sa fille. Pendant qu'Agamemnon reste à Troie, Clytemnestre tombe amoureuse d'Egisthe, celui-ci tua Agamemnon à son retour. Plus tard, Oreste va vouloir venger son père.

Sartre imagine ce qui se passe après la mort d'Agamemnon. Les Mouches ont envahies la ville d'Argos, attirées par une odeur de charogne depuis quinze ans. Un sentiment de culpabilité collective s'installe, sur lequel Egisthe fonde son pouvoir. Egisthe et Jupiter, qui redoute la culpabilité des hommes (acte 2, deuxième tableau, scène V : "Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d'homme, les Dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là" dit Jupiter). Le matricide est positif : la ville en est soulagée, Oreste quittera la ville accompagné des mouches : les Érinyes.

Plan d'étude de la pièce :
I - Attitude paradoxale d'Oreste
II - Emprisonnement d'Electre dans le remords
III - Les Mouches, image du remords

I - Attitude paradoxale d'Oreste

a) Oreste avant : Ligne 36-37 : "hier encore, je marchais au hasard sur la terre, ..." : Oreste était dans un état d'errance, il était perdu, sans aucun repères, "... et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas" : aucun chemin n'était à lui. Il était dans un état de solitude : "Hier encore j'étais seul" (ligne 8). C'était l'obscurité : "Il ne fait pas nuit" (ligne 5), l'errance et la solitude pour Oreste.

b) Oreste aujourd'hui : La lumière symbolise une nouvelle naissance. La réalisation de cet acte est comme une nouvelle naissance à la liberté, une naissance à l'amour ou à la proximité. Le vocabulaire de l'amour est très présent dans ce texte : "je t'aime et tu m'appartiens." (lignes 7-8), "aujourd'hui tu m'appartiens." (lignes 8-9) alors qu'Electre est sa sœur, ce qui montre qu'il a une extrême proximité avec sa sœur, qu'ils ont une véritable fraternité. On insiste sur la filiation. Il y a comme une réapropriation de sa famille : il était exilé et là quelquepart, son acte il l'assume de lui-même. Analogie avec le chemin d'Oreste. En fait, il est écrasé par la fatalité : voir première réplique d'Oreste à Electre. Oreste se réapproprie le mythe, mais d'une façon libre. Cette liberté fond brusquement : lignes 24-25 : "la liberté a fondu sur moi comme la foudre". Quelquepart, il s'est mis debout pour braver les lois morales, il s'est affranchi des lois fondamentales et a refusé d'être un produit conditionné. Il a rompu avec sa position d'exilé, et avec cette fatalité. C'est un acte de libération face à la culpabilisation due aux Dieux. Egisthe gouvernait en entretenant cette culpabilité. Oreste a libéré la ville d'Argos.

II - L'emprisonnement d'Electre dans le remords

Electre est fragile : elle dépend complètement d'Oreste (emploi de l'impératif), les questions montrent qu'elle doit se rattacher à Oreste. Elle en attend un soutien : expressions et formules d'obligation. L'obsurité est omniprésente : elle dit que c'est la nuit, qui est même qualifiée d'"épaisse" (ligne 3) et "je ne peux plus te voir". On a l'impression qu'Electre est plus noire : "Elle [ = ta main ] est plus blanche que la mienne" (ligne 15). Cette obsurité est de plus en plus dense. Sa fragilté va approfondir la fracture entre les deux personnages, elle sent Oreste qui s'éloigne d'elle : ceci marque un fossé entre eux deux : elle dit à propos de la voix d'Oreste qu'"elle me fait mal, elle me coupe comme un couteau." (lignes 46-47). Electre ressent une espèce d'hostilité. Oreste échappe à Electre quelquepart. Elle est prisonnière de l'acte qui a été fait par son frère. En fait, Electre est prisonnière du remords : "je ne me sens pas libre." (ligne 26). Electre lui fait remarquer la malédiction de la fatalité.

III - Les Mouches, image du remords

Electre est attirée par le remords, par ses déesses : les Erynnies, symbolisées par les mouches, dont Oreste possède une phobie, elle en a peur. "Elles enflent, elles enflent" (lignes 31-32), cette répétition met en évidence sa peur qui croit avec l'enflement des mouches. Tous ses sens sont mobilisés par cette peur. La vue : "elles pendent du plafond" (lignes 51-52), on pourrait penser à des chauves-souris ce qui éveillerait un sentiment d'angoisse chez les spectateurs / les lecteurs, "comme des grappes de raisins noirs" ligne 52) ce qui pourrait évoquer du jus de raisins ou du vin, et donc par analogie, le sang lié au crime. On a une image de grossissement : les mouches "enflent" (ligne 52), "enflent"(ligne 52) et "les voilà grosses comme des abeilles" (lignes 52-53), on pourrait penser qu'elles vont piquer. L'ouïe : "le bruit de leurs ailes" (ligne 57), "pareil au ronflement d'une forge" (ligne 57-58), les forges connotent l'enfer, donc la malédiction. Le toucher : "mille pattes gluantes" (lignes 60-61), donc repoussantes, répugnantes. Electre entend un bruit infernal, a une vision d'horreur et sent les mouches répugnantes. De plus, les mouches sont aggresives : elles sont invulnérables et "Elles nous entourent." (ligne 48) et leurs "millions d'yeux", qui représentent la culpabilité qui siège dans la conscience. Les mouches sont l'image de sa conscience qui est exprimée par les yeux des mouches. Les Érynies sont représentées comme des harpies.

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