Synthèse littéraire

Index :

I. La technique narrative

II. Le cheminement de Meursault vers la découverte de l'absurde.


I. La technique narrative

Le récit est à la première personne, ce qui marque la place prédominante du narrateur. L'écrit est au passé composé. Le narrateur raconte de façon sobre les évènements, le discours est rapporté de façon indirecte, cela laisse la place au narrateur, lui laisse le droit de ne rapporter que l'essentiel. Au fil du roman, on va passer du journal au récit. Dans la première partie, la chronologie est assez précise, on va de jour en jour, ou éventuellement, de semaine en semaine. Episode après épisode, Meursault raconte ce qu'il a fait, il n'a pas beaucoup de recul, on n'a pas d'allusions à l'avenir et peu de retours en arrière. On se situe peu de temps après ce qui s'est passé. Dans la deuxième partie, et même à partir du chapitre 6 de la première partie, le narrateur se situe plutôt après. Il a le temps de prendre conscience de ce basculement. Entre la dernière visite de l'aumônier et son exécution, il est situé « cinq mois » après le moment où ont eu lieu les évènements.

Qu'est-ce qui va changer ? La chronologie se dilue, les évènements se succèdent certes, mais la chronologie a des intervalles plus long, elle est plus diluée, le temps est moins marqué. En prison, on perd la notion de temps, il dit même qu'il est sans repères durant son séjour. En fait, les temps vont êtres comme mélangés (voir p. 113), le « plus tard » nous renvoie à un après, puis il fait un retour en arrière puis il avance, avance encore, puis il revient à nouveau en arrière. Dans la première partie, les évènements étaient dans l'ordre. Ici, le narrateur est plus loin dans le temps, il fait une synthèse, il a plus de recul sur sa vie dans cette partie parce qu'il prend conscience de l'absurde, de qui il est et de ce qu'est la société. C'est proposer une réflexion sur les évènements qui l'intéresse. Il confronte les évènements pour faire le point sur lui-même. On a deux regards de Meursault : ici, il procède à une analyse de la société, or au chapitre I de la première partie, on n'avait aucune description des personnages, aucun regard sur l'extérieur, et il développe son regard sur lui-même, sur ses réflexions en prison, il va classer ces observations. A la page 120 : Meursault va parler des femmes, de la difficulté d'en être séparé, puis il développera sur les cigarettes puis sur la façon de tuer le temps en prison puis sur le sommeil. Plus loin dans le roman, il va nous montrer ses sentiments d'angoisse à l'approche du matin et il nous fait part de son espoir. Le personnage prend une certaine profondeur : pages de lyrisme (ex : dans la plaidoierie de l'avocat, il utilise des images qui exprime déjà une analyse du personnage par lui-même.) En fait, le personnage est davantage développé, on développe en même temps plus sur l'absurde. Dans la seconde partie du roman, Meursault est comme retranché de la vie, il sort du corset du temps, pour lui le temps s'est en effet arrêté et dans cette partie, on analyse plus sur ce qu'est un homme absurde.


II. Le cheminement de Meursault vers la découverte de l'absurde.

Initialement, Meursault vivait la routine de la vie, la répétitivité des choses, il vivait en étant indifférent au monde et en vivant des sensations élémentaires. Il ne se faisait pas d'allusions sur les valeurs consacrées comme la mort, le mariage, l'honnêteté. Au fond, il se comportait comme si la vie n'avait pas de sens, il était en-dehors d'une morale, comme si il n'y avait pas de références. Il n'avait pas pris conscience de l'absurde tout en vivant dedans. Il était prisonnier du meurtre.

Tout commence, dans la mesure où Meursault découvre l'absurdité de son rapport avec le monde lors du procès. Au fond, il découvre le lot de tout homme, c'est-à-dire qu'il est condamné à mort (voir p. 184). Cette réflexion intervient après le rejet violent par Meursault de l'hypothèse religieuse et après le rejet d'un espoir chimérique. Or Camus face à ce non-sens du monde refuse un certain nombre de réponses comme l'hypothèse religieuse qui consiste en l'idée que l'homme est voulu et guidé par Dieu et que tous les actes ont un sens pour la vie éternelle, Meursault, comme Camus, rejette cette hypothèse. Il nous dit à la page 183, qu'il est habité par la certitude que la mort signe le non-sens de la vie. Il est à un moment où il est face à face avec son destin, où il n'a plus d'espoir. Cette certitude souligne « cette confrontation entre l'appel humain (le désir de vie) et le silence déraisonnable du monde (ce que Meursault appelle "la tendre indifférence du monde" (p. 186) ) » (Camus). Selon Meursault, cette confrontation constitue l'absurde, le monde ne répond pas au sens de la présence de l'homme, il reste un mystère. On rappelle que nous sommes tous appelés à mourir. Les pages 185-186 nous montrent qu'il n'a plus d'espoir : « je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. ... », Meursault a perdu toute illusion avec la vie. La fin du roman est paradoxale. Le fruit de l'absurde est cette solitude.

En 1937, Camus a écrit L'Envers et l'Endroit où « l'Envers » exprime l'angoisse devant la simplicité et l'étrangeté du monde, on n'a pas de prises sur le monde, on possède une autonomie qui nous échappe, « l'Endroit » lui symbolyse l'émerveillement et l'acceptation du monde et quelque part, Meursault passe de l'un à l'autre à la fin du roman, il a les deux sentiments. Camus, également, il disait en effet qu'il ne voulait pas choisir : « Je ne veux pas choisir », « Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre ». On peut dire que La Peste va compléter L'Étranger par une attitude de combat et de révolte.

Devant un coucher de soleil, qui est quelquechose d'extérieur, de beau et d'éphémère, on se demande en vain la raison de son existence. Pour y répondre, on a l'hypothèse religieuse, des idéologies comme le marxisme. Ici, on a la constation en même temps de « l'Envers » et de « l'Endroit ». Comme dans Le Mythe de Sisyphe, Meursault a perdu des raisons de vivre. Face à cette découverte de l'absurde, le monde ne va pas répondre. L'homme peut trouver l'appel d'autres hommes : la solidarité, « l'Endroit », on a plus de choses à admirer ensemble, que l'on trouve dans La Peste où les hommes s'unissent pour lutter contre ce fléau, l'Envers, c'est la solitude. « Je me révolte, donc nous sommes. » (Camus) : Meursault n'en est pas encore arrivé là, il ne fait que découvrir l'absurde.

Pourquoi Meursault ne parle pas ? parce qu'il se révèle : il est incapable d'exprimer par la parole ce qu'il est véritablement. On a un exemple miroir dans l'article de journal que Meursault trouve dans sa cellule : « Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa soeur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa soeur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La soeur s'était jetée dans un puits. ». Cette anecdote fait un peu mythique, il y a quelque chose d'absurde : l'homme n'a pas dit qui il était, il est un peu comme Meursault, cela fausse les rapports humains. Meursault est comme Grand dans La Peste qui est bloqué à la première phrase de son roman. La société veut que l'on parle et condamne Meursault parce qu'il se tait, elle invente un autre Meursault. Dans ce monde d'idéologies, il faut parler pour se faire entendre même si la parole est ambigue. Celui qui refuse la voie de facilité d'épouser un langage convenu, il est condamné. Camus est quelqu'un qui n'a jamais voulu s'enfoncer dans une idéologie : « les vrais artistes ne méprisent rien, ils s'obligent à comprendre au lieu de juger » dit Camus lors de son discours de Suède, lors de son prix Nobel.

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