L'œuvre de Camus

Ce besoin de mettre de l'ordre dans le monde, pour y asseoir ses certitudes sur des fondations solides, l'a amené à construire sans cesse des plans d'ensemble où il s'efforçait de classer toute son œuvre, à assigner une place à chaque titre, comme à une pièce d'un vaste édifice architectural. Il le répète à Stockholm, quand il reçoit le prix Nobel :
« J'avais un plan précis quand j'ai commencé mon œuvre : je voulais d'abord exprimer la négation. Sous trois formes.
Romanesque : ce fut L'Étranger. Dramatique : Caligula, Le Malentendu. Idéologique : Le Mythe de Sisyphe.
Je prévoyais le positif sous trois formes encore.
Romanesque : La Peste. Dramatique : L'Etat de siège et Les Justes. Idéologique : L'Homme révolté.
J'entrevoyais déjà une troisième couche autour du thème de l'amour. »

Sans reprendre tous les textes où il essaie de systématiser ainsi la succession de ses livres, on peut citer, dans les Carnets, en 1947, un plan d'ensemble qui va encore plus loin. Il est vrai qu'il porte une sorte de titre empreint de doute : « Sans lendemain. »
Voici ce plan :
1re série : Absurde : L'Étranger - Le Mythe de Sisyphe - Caligula et Le Malentendu.
2e série - Révolte : La Peste ( et annexes ) - L'Homme révolté - Kaliayev.
3e série - Le Jugement - Le Premier Homme.
4e série - L'amour déchiré : Le Bûcher - De l'Amour - Le Séduisant.
5e série - Création corrigée ou Le Système - grand roman + grande méditation + pièce injouable.

Dans le discours de Stockholm, à l'occasion du prix Nobel, le lauréat déclarait,en citant Emerson:
« L'obéissance d'un homme à son propre génie, c'est la foi par excellence. »

Camus a exprimé dans son œuvre une pensée complexe, contradictoire, en mouvement incessant, allant du constat angoissé de l'abandon et de la solitude de l'homme à l'exigence d'une solidarité et d'une participation plus grande à l'aventure collective. On reconnaît trois cycles dans son œuvre, très diverse, l'écrivain s'étant exprimé dans des genres aussi différents que l'essai philosophique, le roman, le théâtre ; à cela il faut ajouter de nombreux articles dans diverses revues, et une activité considérable dans le journalisme.

Les noces et la misère : L'Envers et L'Endroit, Noces.

Du propre aveu de l'auteur, la clé de l'œuvre se trouve dans L'Envers et l'Endroit (1937), premier ouvrage démarqué des essais de jeunesse. L'antagonisme des deux thèmes fondateurs de sa pensée s'y reconnaît déjà, dans l'association constante des images de mort-lumière, misère-soleil, pauvreté-joie, solitude-communion. La lumière, la joie, c'est la splendeur solaire de la terre natale d'Algérie, la soif de vie, le goût du bonheur de la sensualité. La misère, c'est la vie sans lendemain, l'abandon de l'homme et sa souffrance. Ainsi, au sein-même des célébrations de la magnificence du monde, se profile le visage de la mort et de tous les maux qui menacent la félicité : « Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. » La faille est déjà ouverte d'où va surgir l'absurde.

L'absurde : L'étranger, le mythe de Sisyphe, Caligula, Le Malentendu

La prise de conscience du non-sens de la vie le conduit à l'idée que l'homme est libre de vivre « sans appel », quitte à payer les conséquences de ses erreurs, et doit épuiser les joies de cette terre. L'absurde, c'est le divorce entre un besoin d'absolu dont la splendeur prometteuse du monde a éveillé la soif, et la condition d'homme, mortelle, faite de laideur et de misère. A l'homme éperdu de sens et d'espoir, répondent le silence du monde et sa déraison. « Sous l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale ni aucun effort ne sont à priori justifiables devant les sanglantes mathématiques qui ordonnent notre condition. » Sous l'éclairage de la mort, le sens a déserté la vie, mais elle lui donne son prix. C'est la signification de L'étranger (1942) : sur les ruines d'un monde vide de sens, son héros, prêt à affronter l'épreuve de la mort, se dresse pour crier son amour de la vie.

La révolte : Caligula, La Peste, Les Justes, L'Etat de siège, L'Homme révolté

Le spectacle de l'Histoire et de ses crimes éveille la révolte. Ainsi la révolte de l'individu face à sa mort rejoint-elle la révolte de l'homme face à la condition humaine. D'abord conçue comme une réaction individuelle contre l'absurde avec Caligula (1945), la révolte, à partir de La Peste (1947), s'en prend au non-sens historique, à l'absurdité des maux de l'histoire, ceux dont les hommes sont responsables. Camus exalte alors une morale collective de solidarité humaine face au mal. C'est également l'époque d'un engagement ardent dans tous les conflits de son temps. Bien faire son métier d'homme devient une exigence fondamentale, la seule voie par laquelle l'homme peut retrouver fraternité et amour. C'est la naissance d'un nouvel humanisme : malgré un ciel vide, et le monde déraisonnable, l'homme peut vaincre l'absurde en donnant un sens à l'appel des autres hommes.

Mais La Chute (1956) semble revenir sur tous les acquis. La solitude d'un héros narcissique remplace la solidarité, la dignité fait place à la déchéance et l'homme bourreau et victime de sa propre lucidité traîne son désespoir avec un cynisme voluptueux. En proie à une culpabilité dévorante, il est exilé des noces, devenues paradis inaccessible. Ce roman troublant, d'un pessimisme affiché, est le dernier publié du vivant de Camus.


L’œuvre de Camus, du vivant même de son auteur, et depuis sa mort, connaît une réception paradoxale ; célèbre et célébrée, elle est aussi déformée et dénigrée par des critiques abusés par son apparente simplicité, ou aveuglés par leurs préjugés philosophiques ou politiques ; mais son humanisme lucide et rigoureux, son effort pour ne rien nier ni de l’homme, ni du monde, la mythologie du possible qu’elle propose, tant sur le plan philosophique que politique, sa richesse morale, intellectuelle et esthétique ne cessent de confirmer que « la création authentique est un don à l’avenir ».


Pour plus de renseignements sur les œuvres d'Albert Camus, allez sur le site Camus sur le Net :

Le Temps du mépris (1936) - Adaptations théâtrales

Révolte dans les Asturies (1936) - Écrits algériens - Théâtre

L'Envers et l'Endroit (1937) - Écrits algériens - Essai

Noces (1939) - Écrits algériens - Essais

La Mort heureuse (1936-1939) - Écrits algériens - Romans

L'Étranger (1942) - L'Absurde - Roman

Le Mythe de Sisyphe (1942) - L'Absurde - Essai

Caligula (1944) - L'Absurde - Théâtre

Le Malentendu (1944) - L'Absurde - Théâtre

Lettres à un ami allemand (1945) - Autres essais

La Peste (1947) - La Révolte - Roman

L'Etat de siège (1948) - La Révolte - Théâtre

Journaux de voyage (1946-1949)

Les Justes (1950) - La révolte - Théâtre

Actuelles I (1950) - Articles publiés dans Combat ( journal clandestin )

L'Homme révolté (1951) - La révolte - Essai

Carnets (1935-1959) - Notes diverses, sorte de journal intime

Les Esprits (1953) - Adaptations théâtrale

La Dévotion à la Croix (1953) - Adaptation théâtrale

Actuelles II (1953) - Articles publiés dans Combat ( journal clandestin )

L'Eté (1954) - Textes lyriques et méditerranéens - Recueil d'essais

Un cas intéressant (1955) - Adaptation théâtrale

La Chute (1956) - La solitude - Roman

Requiem pour une nonne (1956) - Adaptations théâtrale

L'Exil et le Royaume (1957) - La Solitude - Nouvelles

Réflexions sur la peine capitale (1957) - Autres essais

Le Chevalier d'Olmedo (1957) - Adaptation Théâtrale

Discours de Suède (1958) - Autres Essais

Actuelles III (1958) - Articles publiés dans Combat ( journal clandestin )

Les Possédés (1959) - Adaptation Théâtrale

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