Etude de l'incipit : « Aujourd'hui, maman est morte ... pour n'avoir
plus à parler. »
I. L'originalité de ce début de roman
- Traitement du temps : Pas de moments antérieurs à l'histoire, le
passé est dans le flou. On n'a pas vraiment d'avant. Par exemple, on annonce l'enterrement de sa mère
mais on ne sait pas de quoi elle est morte. L'avenir va jusqu'à demain voire après-demain, il est
extrêmement limité. On a le sentiment d'une quasi-simultanéité
de la narration et de son contenu. Meursault raconte les faits les uns après
les autres comme dans un journal, le récit est chronologique.
- Traitement des lieux : C'est nous lecteur qui supposons qu'on est à Alger
(l. 8). Le paysage est complètement gommé, on a l'impression qu'on se déplace sur une ligne
géométrique. C'est purement narratif.
- Traitement des personnages : On n'a aucune description, aucun portrait de son
patron. Le restaurateur et Emmanuel ne sont pas décris non plus. Camus a écrit sobrement, sans aucun
portrait psychologique.
- Le point de vue : La situation narrative est celle de la focalisation interne
: la perception de l'univers du récit se fait par le regard ou la conscience de Meursault. Le narrateur
ne rapporte que ce que voit le personnage-témoin, et ainsi personnage et narrateur se confondent. Les «
je » sont prédominents au fil du récit et, comme dans un discours, on a l'utilisation de « aujourd'hui »,
« hier », « demain », « après-demain », «
pour le moment »qui nous situent par rapport à Meursault, le narrateur aurait très bien pu
employer des expressions comme ce jour-là, la veille, le lendemain ou le surlendemain. Les temps utilisés
sont le futur, l'imparfait et le passé composé, temps qui se situent par rapport au temps du personnage,
ceci montre que l'on colle pratiquement à l'histoire, le temps de la narration est tout près du temps
de l'histoire. Meursault n'a donc pas beaucoup de recul par rapport à l'histoire, celà lui permet
de ne pas faire part de ses sentiments mais uniquement des évènements, de ses pensées, de
ses sensations qui à divers moments occupent sa conscience. On épouse le point de vue du narrateur.
II. Qui est cet homme ?
Meursault marque un extrême détachement à l'égard de la mort de sa mère. L'expression
du télégramme est l'expression de ce détachement. Lorque l'on est avant l'enterrement de sa
mère, c'est comme si elle n'était pas morte pour lui, Meursault semble ne pas en prendre conscience.
Ce qui frappe ensuite, c'est que Meursault fait de l'enterrement une simple formalité : « Après
l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
» Le deuil se fera par l'aspect extérieur, c'est-à-dire par son habillement. Cette mort peut
passer pour une raison valable de prendre des congés : « excuse pareille ». Quelque part, c'est
comme si cette mort était de la faute à Meursault. On a l'impression que la mort n'est pas grand
chose pour lui, que cette mort est vécue comme un accident qui dérange le cours des choses : Meursault
a recours au calcul pour préparer son voyage. Dans tout son récit, on n'a aucune marque du champ
lexical de l'affection, donc pas de chagrin de la part de Meursault. Le seul terme utilisé est dit chez
Céleste : « Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi », la seule compassion vient de l'entourage
de Meursault, qui a choisi de dire les choses telles qu'il les a vécues. Ses sensations l'emportent sur
ses sentiments : Meursault est plus sensible à ce que produit le voyage sur ses sens qu'à l'émotion
de la perte de sa mère. Cet état d'abscence est lié à des évènements
ponctuels qu'il vit. Ce personnage est étranger à des sentiments, à une émotion, qui
vit dans la solitude et qui refuse la communication, il répond par monosyllabes : « J'ai dit "oui"
pour n'avoir plus à parler ». Mais ce n'est pas un personnage blamable pour autant : il fait ce qu'il
faut à l'égard de sa mère, ce n'est pas de la provocation, c'est dans son être.
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