Etude du dialogue avec Marie : « Le soir, Marie ... me tendre
sa bouche. » (pages 69 à 71, première partie, chapitre
V)
On se situe une bonne semaine après l'enterrement de sa mère et durant la semaine qui suit son
week-end avec Marie.
On a deux parties dans le texte : la demande en mariage proprement dite puis leur dialogue à propos de la
promotion de Meursault à Paris. Nous allons tout d'abord étudier cette première partie puis
la seconde.
I. La demande en mariage (du début jusqu'à « dès qu'elle
le voudrait »)
Marie qui est depuis peu la maîtresse de Meursault, exprime dans ce passage le désir de l'épouser.
C'est l'occasion d'une confrontation de deux conceptions de la vie.
1. Une écriture désincarnée :
- La phrase : caractérisée par sa brieveté, et par la platitude syntaxique. Hormis
les hypothétiques, il n'y a de subordonnées que celles impliquées par le style indirect. La
coordination domine, c'est-à-dire qu'il n'y a ni construction, ni explication, ni hiérarchisation
des contenus, comme s'il n'y avait pas de conscience à l'origine de ses phrases.
- L'évidement sémantique : neutralité et généralité du vocabulaire.
Meursault n'emploie qu'un substantif, surtout des pronoms, des adverbes élémentaires comme «
oui », « non », « naturellement », des verbes passe-partout comme « faire »,
« vouloir » : aucune marque de l'affectivité du narrateur, aucun terme dont la coloration pourrait
suggérer de sa part une prise de position.
- Le style indirect : platitude de la présentation des paroles au style indirect, qui domine. Il
désincarne les paroles, leur retire toute affectivité, toute humanité, les dédramatise,
comme si ce n'étaient que des mots, sans êtres qui les prononcent. C'est la présentation la
plus froide qu'on puisse imaginer. Le choix du discours indirect exprime également la distance vis-à-vis
de ce qu'il raconte, on pourrait penser qu'il n'en raconte que l'essentiel. Le discours est rapporté sèchement.
- Conclusion : L'écriture n'intervient pas sur les choses, ne cherche pas à prendre possession
du monde, mais laisse subsister son étrangeté.
2. Le degré zéro de la conscience
- Indifférence et équivalence : « ... cela m'était égal... »,
une expression clé du personnage. Les choses, les êtres, sont interchangeables : « ... la même
proposition venant d'une autre femme... ». Cette indifférenciation conduit à la passivité.
C'est Marie qui prend l'initiative (elle pose les questions, elle agit), alors que Meursault se contente de répondre,
d'accepter le mariage, parce qu'elle le veut. Ceci a un côté provocateur de la part de Meursault,
mais est révélateur de ce que est Meursault. En fait, les conditionnels marquent que Meursault veut
lui faire plaisir, c'est pourquoi il s'en remet à la volonté de Marie. L'indifférence de Meursault
est profonde, on le voit bien dans ses réponses.
- La négation : Meursault est un personnage dessiné négativement ; on ne connaît
de lui que son indifférence aux jugements de valeur, exprimée sous une forme toujours négative
: « cela ne signifiait rien », « sans doute je ne l'aimais pas », « cela n'avait
aucune importance »... Meursault rejette tout dans le néant : le mariage, l'amour, les différences,
alors que pour Marie le mariage est un engagement, une preuve d'amour, et non une formalité. Le mariage
est un ancrage social : on signifie à la société quelquechose.
- Le narrateur : malgré le je qui devrait permettre l'exploration de l'intimité,
Meursault narrateur tient à distance Meursault héros, comme s'il s'agissait d'une autre personne
: paradoxalement, le lecteur est dérouté par l'opacité du héros dont la vie intérieure
reste secrète.
3. Solitude et accord des êtres
- Deux êtres, plutôt qu'un couple : Le texte est construit sur l'opposition « je »,
« elle », le plus souvent séparés par le verbe. Le « nous » marquant l'union
n'apparaît qu'à la fin du passage, suggérant un accord possible, croirait-on ; mais c'est pour
renvoyer le destin du couple à la décision de Marie : « j'ai répondu que nous le ferions
dès qu'elle le voudrait ».
- Incompréhension et silence : le monde et les croyances de Marie sont réduits à
néant par Meursault. Elle ne le comprend pas, il est bizarre. L'incommunicabilité conduit au silence,
omniprésent dans le texte : « elle s'est tue et m'a regardé en silence ». C'est lui qui
l'emporte sur la parole frappée d'inanité. Au début et à la fin, la demande en mariage
est présente : « voulais me marier » / « voulait se marier ». Au fond, les réponses
de Meursault n'ont rien changé à sa détermination. Marie est lucide sur l'avenir possible
mais ceci ne l'empêche pas de le demander en mariage : Meursault refuse de faire un projet par son indifférence,
Marie a un projet de vie personnel que Meursault refuse de construire par lui-même. C'est un des traits de
l'homme moderne que veut désigner Camus. Il a de la peine à s'engager à cause de l'absurdité
de la vie, il est privé de repères, il n'a pas d'avenir quelque part, comme si il n'avait plus de
racines, il ne se connaît pas lui-même. Marie oblige Meursault à se définir, au point
qu'elle-même se pose des questions. Mais Meursault est tout de même sincère, il est lui-même
et il ne la ménage pas dans ses sentiments. Il est comme il est, il refuse les conventions sociales quelque
part.
Mais le silence ne traduit l'incommunicabilité que sur le plan de la parole. Il y a un accord possible
quand Marie renonce à comprendre (Meursault, lui, n'éprouve pas le besoin de parler, il ne fait que
répondre aux questions et au monde) : elle sourit et lui prend le bras.
II. Suite de leur dialogue. Le décalage entre les deux personnages
1. A propos de Paris :
Marie aimerait connaître Paris et Meursault répond en disant que « c'est sale », qu'«
il y a [...] des cours noires », et que « les gens ont la peau blanche », on remarque que c'est
tout l'inverse de l'Algérie où les gens ont une peau noire comme les cours de Paris et les cours
algériennes sont blanches comme la peau des parisiens. Meursault ne s'intéresse donc qu'à
l'aspect extérieur qu'il a de Paris, cela confirme que Meursault ne vit qu'avec ses sens. Sa description
n'est pas complète : aucune liaisons, son discours est très bref, superficiel
et à la limite de la cohérence. D'autant plus qu'il joue sur une opposition absurde entre les cours
noires et la peau blanche. Ce discours ne répond pas à l'attente de Marie, c'est ce qu'on appelle
une réponse lapidaire.
2. A propos des femmes dans les rues :
Meursault lui demande si elle remarque la beauté des femmes, ce qui est presque provocateur de la part
de Meursault sachant que Marie l'a demandé en mariage et qu'il a accepté. On a un décalage
important entre la demande en mariage et sa question à propos des femmes. Ensuite, les adverbes utilisés
par le narrateur peuvent laisser supposer que Meursault a provoqué un froid entre eux.
3. A propos du dîner :
Marie y était disposée mais elle ne peut pas aller avec lui, « elle avait à faire
», ensuite Meursault lui dit au revoir sans lui demander ce qu'elle avait à faire alors que Marie
n'avait rien à lui cacher. Et il prétexte qu'il voulait bien le savoir mais il n'y avait pas pensé
sans doute à cause de son indifférence. Il a l'air empêtré, alors que Marie rigole et
a voulu l'embrasser. Ce décalage, cette difficulté de communication, vient de Meursault qui n'est
pas forcément de mauvaise volonté mais qui a une incapacité à sa mettre à la
place des autres. Marie est active alors que lui est en retrait, et reste passif. Ceci confirme sa difficulté
de communication, ce malaise.
Conclusion
Le texte utilise les procédés d'écriture propres à toute la première partie
du roman. Son intérêt spécifique est plutôt celui d'une confrontation qui oblige Meursault
à se révéler, puisque Marie le harcèle de questions. Il dit alors explicitement ce
que son attitude laissait sentir. Ainsi le passage, recourant au contraste de deux attitudes opposées, a-t-il
surtout pour fonction de préciser le caractère du héros, et sa vision du monde. On découvre
son côté paradoxal, on rentre dans la psychologie du personnage de dire les choses comme elles sont,
d'être naturel. Il ne faut tout de même pas trop noircir Meursault qui a un souci d'authenticité,
d'être vrai, naturel : c'est un personnage qui vit dans sa sphère : il était détaché
de sa mère. La société n'arrête pas de se mettre des masques où lui est authentique.
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