La nuit à la belle étoile à Lyon près du Rhône ou de la Saône : "Je me souviens même ... que je savais par cœur."

Texte de la nuit à la belle étoile à Lyon

Cette évocation d'une "nuit délicieuse" se situe à la fin du livre IV. Rousseau séjourne alors quelque temps à Lyon, dans l'attente de nouvelles de Mme de Warens. Confiant en son avenir, il choisit de dormir à la belle étoile chaque fois qu'il le peut car, dit-il, "J'aimais mieux employer quelques sols qui me restaient à payer mon pain que mon gîte." L'une de ces nuits lui revient en mémoire, qu'il choisit de nous raconter.

Le charme de cette page l'a rendue célèbre. En effet quel lecteur n'envierait le bonheur de Jean-Jacques, au cours de cette délicieuse nuit ? Comment rendre compte de cette réussite ?
Le lecteur doit ici dépasser son impression première et tenir compte de ce qu'il sait de l'élaboration des Confessions :
- d'une part, la mémoire de Rousseau recompose souvent son bonheur passé pour mieux l'idéaliser : cette nuit est peut-être la synthèse de plusieurs nuits semblables (cf. les imprécisions au début du texte) et l'on doit sans doute moins y lire un témoignage autobiographique précis que l'évocation idéale d'un artiste maître de son talent ;
- d'autre part, Rousseau n'abandonne jamais la thèse sous-jacente à son récit : montrer, dans la personne de Jean-Jacques, l'innocence d'un tempérament simple et sensible, fait pour être heureux au sein de la nature.
Ces deux remarques vont guider l'examen méthodique du texte vers deux axes de lecture : Un cadre/Un paysage idéalisé par Rousseau ; l'harmonie avec la nature qui lui procure du bonheur

I - [Un cadre / Un paysage] idéalisé par Rousseau

1. On est dans un lieu et un temps indéterminé.

Le lieu est indéterminé : l'auteur ne se "rappelle pas" s'il était au bord du Rhône ou de la Saône. Il ne précise pas davantage si l'on est au printemps, en été ou en automne. Le tableau qu'il peint a un caractère de généralité justement propice à la rêverie (celle de l'auteur, celle du lecteur) : tout se passe comme si des détails trop particuliers, susceptibles de nuire à l'harmonie d'ensemble, étaient effacés.

2. On a des conditions climatiques merveilleuses

Juste ce qu'il faut : l'évocation de la "soirée charmante" dont le crépuscule tend à contrebalancer la chaleur du jour par la rosée qui "humect[e] l'herbe flétrie", le vent s'est effacé pour rendre la nuit tranquille, la qualité de l'air est parfaite : "l'air était frais sans être froid" qui s'oppose à l'air chaud de la journée : "il avait fait très chaud ce jour-là"

3. Quelques éléments du paysage connotés positivement : hors de la ville :

Les "jardins élevés en terrasse", les "arbres chargés de rossignols", comme des fruits, la présence de couleurs chaudes : les "vapeurs rouges" laissées dans le ciel par le "soleil" s'harmonisent et se fondent avec l'"eau couleur de rose" qui les reflètent et la "rosée". Ce raffinement a quelque chose de poétique du aux couleurs, un paysage pastel, comme une couleur qui est relayée par la rosée, qui connote le brillant. L'esthétisation du paysage le transforme en tableau de peinture. Les éléments qui le constituent sont en quelque sorte la palette des éléments premiers de la nature : la terre avec les jardins en terrasse, l'eau, l'air, le ciel, le soleil, les arbres, la nuit. Les seuls animaux présents sont des oiseaux, les rossignols.

II - L'harmonie avec la nature qui lui donne du bonheur

1. Rousseau au centre de ce tableau :

Le "je" est important, comme le rôle des sensations visuelles, auditives et tactiles. On a l'impression que Rousseau est au milieu de tout cela et qu'il est entouré par la nature lors de son coucher.

2. Vocabulaire du bonheur

Des termes comme "extase", "jouissance", "voluptueusement" et "douce rêverie" montrent bien cette osmose avec la nature, avec les rossignols, comme un bonheur du début du monde.

3. On est comme hors du temps

Rousseau ne compte plus les heures. La nuit elle-même est complètement effacée par une ellipse, on passe du soir au matin directement.

4. La nature lui est offerte

"Mes yeux s'ouvrirent ... paysage admirable". La nature est protectrice : "rossignol" qui le berce. La nature devient comme un lit et une chambre pour Rousseau.

La fraîcheur de cette page, sa réussite, tiennent à son unité, à l'art avec lequel Rousseau, recomposant son souvenir, assemble les deux aspects que notre lecture méthodique a dissociés : l'évocation d'une nature idéale et la certitude plus ou moins rêvée de n'avoir fait qu'un avec elle.
En ce qui concerne l'originalité de Rousseau dans cet extrait, on peut signaler la critique d'un commentateur qui estime qu'on surprend ici Jean-Jacques à faire "du Rousseau". Ce n'est en effet ni la première ni la dernière fois que l'auteur exprime son goût de la nature et de la fusion en son sein. Au lecteur d'en juger en se reportant à La Nouvelle Héloïse, à la Troisième lettre à Malesherbes et aux Rêveries du promeneur solitaire. On a un romantisme de la part de Rousseau, par la peinture d'un paysage de rêve, qui annonce ce mouvement du 19e siècle, il est d'ailleurs considéré comme un préromantique.

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