Étude du texte n°2 (page 24 à 28 dans l'édition de 1999 de la Table Ronde)
"Écoute j'ai bien réfléchi ... ma petite sœur"

Antigone refuse de dialoguer : on le remarque par toutes les oppositions avec Ismène : "Moi je suis plus pondérée. Je réfléchis." // Antigone : "Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir" ; "je comprends un peu" // "moi je ne veux pas comprendre un peu".

Ismène se valorise, elle dit qu'elle a toujours raison : "réfléchir", "raison", "pondérée". C'est elle qui mène le dialogue dans un premier temps : "Écoute". Ses arguments sont réalistes : elle dit que Créon n'a pas totalement tort : "Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple", son attitude s'explique par sa fonction de roi. Ismène est partagée : elle a une attitude réaliste presque adulte et elle essaie de comprendre les uns et les autres. Il n'y a pas de partis tranchés chez Anouilh. Dans la pièce de Sophocle, Antigone défend les lois sacrés contre la tyrannie. Ici on a une version plus "mitigée" des choses.

Antigone reprend des phrases de sa sœur de manière laconique, ces réponses ne permettent pas d'entrer dans un débat de fond avec Ismène, mais elles nous permettent de comprendre Antigone. On a l'impression qu'elle se démarque : "Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir !". Elle se traite à la 3e personne en utilisant un vocabulaire péjoratif. Antigone veut nous dire qu'elle est libre : "je ne suis pas le roi", sa liberté existe depuis toujours et elle le revendique. L'affaire de Polynice n'en est qu'une partie. Elle a été depuis toujours indomptable. En fait, ce qu'elle nous dit n'est pas péjoratif pour elle. Sa sœur est présentée comme quelqu'un de plus raisonnable. Antigone ne veut pas s'enfermer dans un conformisme et faire comme tout le monde. Pour elle "comprendre" rejoint obéir et être raisonnable. Ce verbe est repris par anaphore : "Il fallait comprendre" ( x2) et il est répété 7 fois en tout dans cette tirade. Elle oppose la notion de raison à l'envie de faire ce qu'elle veut quand elle veut. Elle avait envie de tout vivre pleinement : "manger tout à la fois", "donner tout ce qu'on a", "courir jusqu'à ce qu'on tombe". Ce désir d'absolu est lié à sa jeunesse : "Je comprendrai quand je serais vieille". Elle veut braver les interdits par ses jeux d'enfants, gratuits et agréables. Ce sont des plaisirs simples : elles jouent avec les éléments naturels : l'eau (" toucher à l'eau, à la belle eau fuyante et froide"), le vent ("courir, courir dans le vent jusqu'à ce qu'on tombe par terre") et la terre. Le rôle de la Nature et de cette innocence sont importants chez Antigone. La liberté s'exprime encore par l'expression "courir, courir dans le vent". Tout ces jeux s'opposent aux règles sociales. Elle revendique la liberté de vivre naturellement et dans l'innocence face à la norme sociale donnée par Créon, contrairement à sa sœur qui accepte les règles dictées par le roi. Antigone est l'image de la jeunesse exigeante ce qui dépasse le point de vue donné par la pièce de Sophocle.

Notion de vivre : Paradoxalement, on a l'impression qu'Antigone est plus sensible à la vie que sa sœur. Elle l'affirme par des questions oratoires : "Qui se levait la première, le matin, rien que pour sentir l'air froid sur sa peau nue? Qui se couchait la dernière seulement quand elle n'en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu de la nuit? Qui pleurait déjà toute petite, en pensant qu'il y avait tant de petites bêtes, tant de brins d'herbe dans le pré et qu'on ne pouvait pas tous les prendre? " Elle trouve le temps trop court et elle veut donc le vivre au maximum : "la première, le matin", "la dernière [...] quand elle n'en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu de la nuit". Elle se présente comme la petite fille qui ne grandira pas. Pour elle vieillir, c'est devenir Ismène. Elle utilise l'imparfait pour dire à Ismène que c'était la dernière fois qu'elle faisait cela. Elle veut vivre pleinement le temps avec la nature, elle est en osmose avec elle, rien ne les séparent : "peau nue". Contrairement à Ismène qui est belle par son artifice : "belle robe". Elle veut vivre de la nuit, où elle est seule à seul avec la nature, comme si elle en tirait son énergie vitale. Ce désir de communion, de familiarité avec la nature s'exprime dans ce qu'elle a de plus commun : "petites bêtes". On retrouve cette notion de pureté et d'innocence d'Antigone.

Le type de dialogue entre les 2 personnages marquent bien le fossé qui les écartent. Ceci était déjà exprimé dans le prologue.

Dans deux tirades, Ismène manifeste sa peur. Dans la première : sa peur vient du conformisme : "ils pensent tous comme lui" et du collectif qu'elle dévalorise : "des milliers et des milliers [...] grouillant". Elle vient de la loi du nombre, le nombre est relié par la taille de la ville : "dans toutes les rues de Thèbes", "dans la ville". Elle y utilise le "nous", elle se sent proche de sa sœur, elle n'a plus cette innocence. Dans la deuxième tirade : elle évoque la foule : elle essaie d'impressionner Antigone par la quantité : "mille bras", "mille visages", "unique regard", ils regardent tous Antigone avec leurs deux mille yeux : ceci exprime encore la peur du conformisme. Ce vocabulaire haineux, du mépris, doit faire peur à Antigone : "cracheront à la figure", "leur haine". Elle a peur des gardes qui l'enverront jusqu'à la mort : "supplice", elle les décrit comme des animaux qui ont la tête gonflée, qui ne réfléchissent pas : "regard de bœuf", "têtes d'imbéciles" et comme des gens grossiers, patauds, qui manquent de délicatesse : "grosses mains lavées", "cols raides". C'est son imaginaire qui la conduit et elle est déjà au stade du supplice où elle est accompagnée par les gardes dans la charrette qui sont une autre représentation de Créon. Elle a surtout peur de souffrir.

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